De bonnes ondes pour le cerveau

3 mai 2021

Des ondes musicales pour réguler nos émotions

03/05/2021 – Cerveau & Psycho n°132

La musique a le pouvoir de modifier l’anatomie et le fonctionnement du cerveau humain, d’une façon qui bénéficie à de nombreuses aptitudes cognitives et socioaffectives. Mais faut-il être un musicien professionnel, ou tout au moins assidu, pour profiter de ses bienfaits ? Ceux-ci seraient-ils réservés aux personnes qui passent des heures chaque jour à manier un archet ou à pianoter sur un clavier ?

De nombreuses études montrent que la simple écoute musicale allume dans notre cerveau une véritable symphonie neuronale (voir l’encadré page 32), qui entraine de multiples retombées positives, et il n’est pas nécessaire d’avoir étudié au conservatoire ou ailleurs pour cela. Chacun de nous peut en faire expérience au quotidien, en choisissant tel ou tel morceau pour modifier son humeur du moment.

Cette puissance émotionnelle de la musique s’explique notamment par les liens privilégiés qui existent entre le cortex auditif et le système de récompense dans le cerveau. Seuls 5% des gens n’éprouvent aucun plaisir à en écouter – on parle d’« anhédoniques musicaux », une catégorie différente des amusiques, qui eux rencontrent des difficultés à percevoir et produire la musique.

Pour l’immense majorité d’entre nous, la musique est un moyen privilégié pour moduler nos émotions. Dès la naissance, nous y sommes sensibles et le chant est particulièrement efficace (plus que le langage ou même le jeu) pour réguler les émotions des nourrissons, par des berceuses qui calment ou des comptines qui réveillent. Les recherches ont montré que le chant maternel produit une augmentation de l’ocytocine chez les bébés. Communément surnommées « hormone de l’amour » cette substance – un neuropeptide secrété par l’hypothalamus – favorise l’attachement et la confiance. Elle apaise aussi le stress et l’anxiété, ce qui contribue à l’organisation des comportements sociaux. Les jeux musicaux sont également un moyen privilégié pour tisser des liens avec son bébé, car ils stimulent ses capacités de communication, en plus de leur action émotionnelle (voir l’encadré 32).

LA SYMPHONIE NEURONALE

Si la musique a un tel pouvoir sur nous, c’est que l ‘écoute, et plus encore la pratique musicale, stimule le cerveau bien au-delà du cortex auditif. Elle engage de nombreuses régions impliquées dans l’action, les émotions et l’intellect, qui interagissent pour établir un cercle vertueux cognition – action – émotion.

Le son musical chemine d’abord de l’oreille interne jusqu’au tronc cérébral, via les fibres du nerf auditif, puis se dirige vers le lobe temporal, où le cortex auditif primaire (le gyrus de Heschl) est localisé. C’est là que sont réalisées les premières étapes de traitement de l’encodage. L’information est ensuite transférée vers le cortex auditif secondaire et les cortex associatifs, puis vers le cortex préfrontal, qui s’occupe des caractéristiques plus complexes (contour mélodique, intervalles de hauteurs, etc.). Il existe également des connexions entre les cortex auditifs et ce qu’on appelle le « système de la récompense » (incluant plusieurs régions du système limbique, comme le noyau accumbens), qui crée les réponses émotionnelles à la musique et produit des substances associées au plaisir, comme la dopamine. Lorsque nous expérimentons un moment musical très plaisant, les interactions entre ces régions s’accroissent – les faisceaux qui les relient étant d’autant plus épais que l’on est passionné par la musique et que l’on passe du temps à en écouter. C’est ce que montrent les travaux de Valorie Salimpoor et Robert Zatorre, de l’université McGill, à Montréal.

Le cortex auditif entretient également des connexions privilégiées avec plusieurs régions motrices du cerveau, comme le cortex moteur, ainsi que les ganglions de la base et le cervelet. Ce couplage est important pour la synchronisation sensorimotrice, lorsqu’on joue de la musique ou qu’on danse, mais aussi pour la perception des séquences musicales, même lorsque aucun mouvement n’est demandé aux auditeurs.

Il permet en effet de mieux traiter le rythme et aide à prédire ce qui va suivre – développant des attentes temporelles. Outre son rôle dans la perception de la musique, cette interconnexion des réseaux auditifs et moteurs pourrait avoir un intérêt thérapeutique : certaines recherches visent à l’exploiter pour aider les patients atteints de la maladie de Parkinson, en diffusant des séquences de sons réguliers pour déclencher ou stabiliser la motricité.

Enfin, la perception et la mémoire musicales activent d’autres structures corticales, dont le lobe occipital (qui joue un rôle dans l’imagerie mentale et les potentielles associations visuelles évoquées par la musique) et le lobe pariétal. Ce dernier intervient dans certaines opérations cognitives, comme le traitement de structures musicales complexes ou inattendues. L’écoute et la pratique musicales nécessitent une coordination temporellement précise d’un réseau cérébral étendu, impliquant des structures perceptives, cognitives, motrices et émotionnelles, ce qui constitue une véritable « symphonie neuronale », page 44 pour un exemple de ces jeux praticables. Il ne s’agit pas de lui enseigner la musique et peu importe que vous chantiez juste ou que vous ayez une belle voix. L’enjeu est de lui apprendre qu’il vit dans un environnement humain bienveillant et affectueux, obéissant à différentes règles de communication.

Cette capacité de la musique à influer sur nos émotions sociales est aussi intéressante à l’hôpital : en 2009, Ulrica Nilsson, du centre de soin d’Örebro en Suède, a montré que l’écoute régulière de musique entraîne une production plus grande d’ocytocine chez des patients qui viennent de subir une opération à cœur ouvert.

LA MUSIQUE DIMINUE LA DOULEUR

Ce n’est pas la seule application de la musique à l’hôpital. Ces vingt dernières années, elle s’est imposée dans la prise en charge de la douleur. Elle aide en effet à contrecarrer les émotions négatives qui lui sont liées, par les ressentis positifs qu’elle inspire, et détourne l’attention de la souffrance physique.

Dans le cerveau, on voit que ces deux mécanismes, émotionnel et cognitif, modulent les réactions du système de la douleur.  La musique peut ainsi être utilisée, tant chez l’enfant que chez l’adulte, pour soulager les patients lors de certaines opérations et procédures thérapeutiques, ou pendant un accouchement. L’écoute d’un morceau jugé plaisant ou apaisant réduit de 20 à 90% le niveau de douleur ressentie et de 30 à 75% de l’anxiété. Ces effets sont connus en oncologie, où ils permettent de limiter le recours aux traitements pharmacologiques, en particulier morphiniques, et de réduire l’anxiété anticipatoire avant une intervention chirurgicale. Lorsque la souffrance devient chronique, l’écoute musicale peut aussi réduire le niveau de douleur ressentie, de façon très variable selon les individus.

Le pouvoir de la musique s’exerce également dans bien des situations de la vie quotidienne, souvent à notre insu. Une étude publiée en 2019 par l’équipe de Laurel Trainor, de l’université McMaster, au Canada, l’a analysé dans le cadre du speed dating. Dans l’expérience, une musique était diffusée en fond sonore, à un volume perceptible sans être dérangeant pour les échanges ; elle était plus ou moins dansante selon les participants, dont les mouvements corporels étaient par ailleurs mesurés. Après chaque rencontre, les sujets répondaient à un questionnaire évaluant leur attirance physique pour leur partenaire et leur demandant s’ils seraient prêts à le rencontrer à nouveau, voire à s’engager dans une relation sérieuse. Résultat : à attirance physique égale, les participants avaient davantage envie de poursuivre l’aventure lorsque la musique étant dansante et qu’ils avaient bougé de façon synchronisée avec leur interlocuteur.

À cet effet de synchronisation des mouvements – connu pour augmenter les sentiments d’empathie et de confiance – s’en ajoute probablement un autre : la musique parle de notre personnalité intellectuelle et sensible, si bien que certains la considèrent comme une forme de body language sonore qui traduit qui nous sommes. Les mélodies dansantes ont probablement fait paraître les participants plus groovy.

Un troisième mécanisme entrerait en jeu dans le pourvoir de l’écoute musicale sur les liens sociaux : la contagion émotionnelle. La musique facilite cette contagion car elle capture et concentre l’attention de tous sur une même séquence temporelle d’événements. D’une certaine façon, la situation est similaire à celle de supporteurs regardants un match de football : comme ils sont concentrés sur le même flux d’événements, ils partagent des émotions voisines, ce qui entraine des phénomènes de cohésion sociale impressionnants – notamment lors d’un but. La succession des morceaux de musique lors d’une soirée ou d’un concert peut produire le même type d’effet, les émotions partagées finissant par harmoniser l’état psychologique des personnes présentes, ce qui augmente leur empathie mutuelle.

LA MUSIQUE AU TRAVAIL

Les bienfaits de la musique s’observent également dans le milieu professionnel, par exemple pour renforcer la cohésion sociale ou stimuler la production d’idées innovantes. Certaines entreprises proposent d’ailleurs des groupes de chorale à leurs employés. Lorsque plusieurs personnes produisent une structure sonore continue, en parfaite harmonie et synchronie, le sens de l’autre et du soi s’estompe, ce qui entraine un sentiment de fusion.

En 2003, la chercheuse suédoise Christina Grape et ses collègues ont montré qu’une simple session de chant collectif de 30 minutes provoque une augmentation du taux d’ocytocine. D’autres travaux confirment que cette pratique renforce le sentiment d’appartenance à un groupe, l’estime de soi et la confiance réciproque. Ce qui la rend particulièrement intéressante au quotidien, car elle favorise la coopération, mais aussi dans les situations

Difficiles : en 2010, après la vague de suicides qui a frappé le groupe de télécommunication Orange, la direction de ce groupe a lancé un plan de convivialité qui comprenait la pratique du chant choral dont les retombées n’ont pas été évaluées à notre connaissance…

La musique est également utilisée par certaines entreprises pour stimuler la pensée créatrice lors de sessions de travail collectif. Divers travaux montrent ainsi qu’un groupe qui en a préalablement écouté produit en moyenne plus d’innovations, par rapport à un groupe sans préparation ou ayant effectué une séance de sport. La musique diminuerait l’activation du cortex préfrontal, responsable des processus d’inhibition, ce qui permettrait de faciliter la production des associations d’idées. C’est ce que suggèrent les études d’imagerie que nous avons conduites avec Laura Ferreri et Aurélia Bugaiska, dans notre laboratoire à l’université de Bourgogne : après avoir écouté de la musique, les participants avaient une activité réduite dans cette zone cérébrale et ils se sont montrés plus inventifs pour tisser des liens entre différents mots. Notons au passage qu’un tel réseau de liens a favorisé la mémorisation de ces mots.

UN COACH POUR LES SPORTIES

Enfin, la musique est un allié précieux pour stimuler l’activité physique et sportive. Un collectif d’artistes a ainsi incité les usagers du métro à délaisser les escaliers roulants en « musicalisant » un escalier traditionnel, par la pose de senseurs reliés à des cellules sonores sur les marches. Plus de 60% des gens ont opté pour cet escalier musical (dont une vidéo est visible sur internet : https://tinyurl.com/3cfykmdv). Le fait de coupler une action à une stimulation musicale suffit pour modifier un comportement.

De façon similaire, nous avons tendance à nous synchroniser intuitivement sur le tempo de la musique. On le voit quand on se met à taper en rythme du doigt ou du pied, mais cela peut aussi être exploité pour soutenir son rythme de marche ou de course. C’est ce qu’a montré en 2015 l’équipe de Marc Leman, de l’université de Gans, en Belgique. Les chercheurs ont même développé une application nommée Djogger qui diffuse de la musique dont le tempo s’ajuste automatiquement à celui de la marche ou de la course, en étant légèrement plus rapide. Les personnes qui font un footing accroissent alors leur vitesse de course sans même s’en rendre compte.

Autre effet intéressant de la musique dans le cadre sportif : elle stimule le système dopaminergique. Comme son nom l’indique, ce système libère de la dopamine dans le cerveau, une molécule impliquée dans les sentiments de plaisir et de désir, mais aussi dans le mouvement et l’action. En combinant le pouvoir relaxant, on peut mettre les sportifs dans un état approprié à la compétition : énergique mais décontracté. En 2020, Peter Terry, de l’université du Queensland du Sud, et ses collègues ont publié un métaanalyse, portant sur 139 études et incluant 3 599 participants au total : ils ont montré des effets positifs de la musique sur l’humeur des sportifs, leur performance physique, leur perception de l’effort, et même leur consommation d’oxygène. Ce dernier bénéfice viendrait du fait que l’effort est plus régulier, car il se cale sur le rythme musical. Les sportifs n’ont d’ailleurs pas attendus les chercheurs pour utiliser massivement la musique, notamment dans les salles de sport. Même si dans certains types de compétitions internationales, comme le marathon, elle est prohibée : sa capacité à stimuler le système dopaminergique la fait considérer comme une drogue !

La musique est un moyen privilégié pour moduler le fonctionnement de son cerveau sur bien des aspects. Elle active un vaste réseau neuronal et enclenche tout un ensemble de réactions biochimiques susceptibles de modifier nos états socioaffectifs et cognitifs. Serait-elle LE remède miracle à tous nos maux ? Bien évidemment non, mais elle présente des atouts manifestes pour accompagner les défis psychologiques que les humains doivent relever tout au long de leur vie.

L’ACTIVITE LA PLUS RECONFORTANTE PAR TEMPS DE PANDEMIE

La pandémie de Covid-19 en offre une illustration édifiante. Ernest Mas-Herrero, de l’université de Barcelone, et ses collègues ont ainsi évalué les facteurs diminuant le plus les symptômes dépressifs et anxieux liés à cette pandémie auprès de 1 000 personnes d’âges variés, habitant aux Etats-Unis ou en Europe. Or la musique arrive en tête des activités les bus réconfortantes chez 19% des personnes, devant les « divertissements » comme le visionnage de films ou de séries (17%), le sport (16%), les appels vidéos entre amis ou membres de la famille (14%), la cuisine (14%), et très loin devant les activités sexuelles (2%). Ce bienfait est plus marqué chez les individus fortement affectés suite à la perte d’êtres chers ou de leur situation professionnelle en raison du Covid-I9. Qui plus est, la musique (avec la cuisine) est la seule activité dont l’efficacité augmente avec le temps qu’on y consacre : plus on en écoute, plus l’effet tranquillisant est fort. À consommer sans modération.